jeudi 2 août 2007

Piste 03 : "It's not Unusual" par Tom Jones

Il est certaines chansons qui sont dans votre esprit et dans votre cœur, qui a priori ne siéent guère à votre condition d’amateur de Musique, et que vous ne pouvez pour autant vous empêcher d’adorer. Cette chanson, vous ne l’avez pas choisie, elle s’est imposée à vous contre votre gré ; et c’est certainement la raison pour laquelle il semble très difficile d’envisager votre existence sans elle. On ne choisit pas celle qu’on aime.

La première fois que je l’ai entendue, ça devait être à la télé et je me souviens l’avoir tout de suite détestée. "Trop d’édulcorant et pas assez de matière grasse… et regardez-moi ce pantalon!" a été ma réaction en la découvrant, interprétée ce soir-là par Tom Jones : ce n’était vraiment pas une chanson pour un type aussi intransigeant que moi, dès lors qu’il s’agissait de bon goût musical. J’ai été snob avant même de commencer à véritablement aimer la musique. Et il était clair pour moi qu’elle ne pouvait vraiment pas me convenir. Parce que s’ajoutait à cela les bruits qui couraient sur elle et ses semblables : superficielles, stupides et manquant totalement de personnalité. S’ajoutait à cela aussi le fait qu’elle était adulée par les êtres que j’abhorrais le plus à cette époque (c’est-à-dire la pré-puberté) : les filles. Cette donnée-là prise en compte, les dés étaient jetés. "It’s not Unusual" devra dorénavant être classé dans le groupe des chansons "pour harpie à l’ouïe déficiente".


Nous nous en étions tenus là. Jusqu’à l’été dernier. A cette époque, je me trouvais dans une situation affective et mentale assez précaire, et qui suivait ma rupture avec celle qui avait été pour moi, pendant près de deux ans, tout. Ce n’était pas la première fois qu’on se séparait, mais nous étions tous deux certains que cette fois, c’était la bonne. Dont acte.
Il m’est arrivé de me sentir mal dans ma vie, mais durant cet été j’ai découvert un tout nouveau stade de mal-être, cette terra incognita pour les gens de mon âge, et que mes prédécesseurs avaient poétiquement intitulé "aigreur" (ce qu’il faut savoir sur elle, c’est qu’elle est très sympathique : c’est pour ça qu’il est difficile de s’en détacher.) Je ne me plaignais pas de ma nouvelle amie, mais je sentais bien qu’elle n’était pas de très bon conseil, et qu’en l’écoutant, je ne faisais que m’enfoncer un petit peu plus dans le fumier. Et c’est à ce moment crucial, à cette phase véritablement affreuse de mon passage à l’âge adulte, qu’elle a décidé de réapparaître dans ma vie.

Cette fois, c’était à une fête à laquelle ma mère m’a demandé (le terme exact aurait été "contraint par la force et la menace") de me rendre. C’était une fête caractéristique de celle que je ne pouvais supporter, même dans mon état habituel : buffet garni de mets improbables, convives ivres beuglant une merde de Céline Dion, enfants moches qui rient… Bref, vous voyez le genre. Et puis j’ai entendu les cuivres pétaradants, suivis immédiatement par la voix chaude de ce bon vieux Tom : cet air que j’avais toujours détesté allait devenir ma bouée de sauvetage. Elle était ce qui m’aiderait à revenir à la vie.

Je me suis souvent demandé depuis pourquoi je l’avais choisie elle parmi tant d’autres kitscheries pour me secourir, et, en me trifouillant les méninges, j’en suis venu à cette conclusion : "It’s not Unusual" a été tout simplement la seule ayant eu la capacité de me relever, et, aussi facile et bête qu’elle soit, je lui en serais toujours reconnaissant.