dimanche 25 mai 2008

Piste 22 : "Little Garçon" par Born Ruffians

C’est cette scène dans Virgin Suicides, où la plus jeune des 5 sœurs Lisbon se trouve dans le cabinet du docteur. Le docteur lui dit qu’il a du mal à comprendre pourquoi elle a essayé de se suicider parce qu’après tout, c’est qu’une gosse, et elle ne peut pas encore savoir jusqu’à quelle point la vie peut être une sacrée salope. Et elle, elle lui répond ce truc insensé : "De toute évidence, docteur, vous n’avez jamais été une adolescente de 13 ans." Ouah. Ma mâchoire m’en choit à chaque fois.

J’ai perdu le contrôle. Pourtant, ça doit bien faire 18 ans que je m’applique à faire rebondir ce genre de choses sur mon beau bouclier. Et puis en plus, la vie a été vachement chouette avec moi, vu qu’en terme de trucs à esquiver, à contrer, à ignorer avec art et sournoiserie, la filoute m’a drôlement gâté, à croire que, de tous ses enfants, je fais parti de ceux dont elle ne se lasse jamais de chouchouter. Enfin, tout ça pour dire que j’ai l’habitude, et que les merdes, j’ai appris avec l’âge à ne plus leur prêter plus d’attention que cela. Mais là, non. J’y ai même sauté à pieds joints. Sans retenue, sans gêne, sans la moindre pensée pour ceux qui étaient autour de moi et que je me préparais à salement éclabousser. Ce genre de dégueulasserie, ça se nettoie vite, mais le souvenir qu’on en garde, il reste pour longtemps. Les gens peuvent pas s’empêcher de conserver ce genre de trucs dans un recoin de leur mémoire, allez savoir pourquoi. Il y a toujours de la place pour les histoires de caca. Une machine bien faite tout de même, le cerveau humain.



Elle me fascine, c’est toujours une première fois avec elle. La fraîcheur et la maladresse et la surprise et l’ivresse et le sentiment d’avoir le cœur bloqué quelque part dans votre œsophage, tous ces petits riens qui rendent l’expérience de découverte de l’autre tellement palpitante reviennent à chaque fois à la charge, prêts à mener l’assaut de vos sens. Je suis tombé amoureux d’elle une nuit d’insomnie : c’est fou comme les heures tardives rendent sensibles aux choses toutes connes, comme si la journée on était embarrassé de se montrer honnête avec soi-même. Parce qu’il faut être clair, elle n’a vraiment rien d’extraordinaire. Il n’y a vraiment que moi pour me laisser envoûter comme ça. C’est qu’elle n’est pas dans la pose comme toutes les autres, la légèreté chez elle est authentique et inconséquente, dénuée de tout artifice, pourvue d’une grâce propre à celles qui aiment rêver les yeux ouverts. Elle parle de l’enfance, je crois, ou plutôt de l’enfant qui vit en nous : on a beau avoir essayé de le tuer pendant l’adolescence avec le sexe, la drogue et le rock’n’roll, rien à faire, le mioche est increvable. Et puis ce refrain, "I’m a little garçon in my head/With a little fille that stuck in bed" : la pop-music est capable de tout, mais jamais je ne l’aurais cru capable d’enfanter une chanson qui pouvait m’émouvoir avec deux vers aussi débiles que ceux-là.

A chaque écoute, je ne peux pas m’empêcher de penser à elle. D’ailleurs, si je la réécoute aussi souvent, probablement que c’est lié à ça. Forcément. Cette chanson parle de nous, des gosses qu’on a été, de la maternelle où l’on a été et de la manière dont nous y avons faits connaissance, parce que je ne l’oublierai jamais cette première rencontre, c’était le tout premier jour de classe et je pleurais et hurlais tout mon saoul, parce que jamais auparavant je n’avais été entouré uniquement d’inconnus et j’en étais terrorisé, et toi tu es venue me voir et tu m’as demandé pourquoi je pleurais, et bien évidemment je ne t’ai rien répondu, trop absorbé que j’étais à faire comprendre à la face de l’Univers que je voulais ma maman et que je la voulais tout de suite, et ce silence t’a vexée ou t’a surpris peut-être mais quoi qu’il en soit la minute d’après tu m’a mis une baffe, une baffe monumentale, que tu as ponctué d'un oh!, et tu m'as demandé une nouvelle fois pourquoi je pleurais, ce à quoi j’ai répondu par un cri strident, à en briser des vitres, et la maîtresse est venue et t’a dit qu’il ne fallait pas frapper les autres enfants comme ça hein parce que c’est pas bien et elle t’a obligé à me faire un bisou, pour faire la paix, et la paix on peut dire qu’on l’a fait puisqu’on est devenu les meilleurs amis du monde jusqu’à la fin de la maternelle…

C’est ça qu’est bien avec les contes pour enfants, eux, ils savent toujours s’arrêter au bon moment.