lundi 14 janvier 2008

Piste 17 : "Il Est Cinq Heures, Paris s'Eveille" par Jacques Dutronc

Extérieur, nuit. Froid étouffant, néons éblouissants. Les trottoirs sont mouillés, la réverbération des lumières de la ville offre un décor irréel à mes promenades solitaires. Les pupilles dilatés, les tympans inondés par le flot canaille et insolent de Jacques Dutronc, me voici devant les vitrines des Grands Magasins, ébahi par la chevelure luxuriante d’un modèle qui me regarde fixement de ses yeux diaphanes. Derrière moi, le camion se vide de ses trésors improbables, produits cosmétiques et peluches à la taille extraordinaire. A présent encerclé par une horde de rouges à lèvres, de tyrannosaures au pelage violet, et de déménageurs à l’air pas commode, les vibrations cosmiques m’incitent à me tirer de ce traquenard fissa. Oui, je suis très fatigué. Il me faut du café. Ou du whisky. Je ne suis pas difficile à cette heure.

Il est cinq heures. Paris s'éveille.


Le spectacle de Paris qui se lève ayant toujours revêtu, à mes yeux, un charme fou, il m’arrive, incorrigible gréviste du sommeil que je suis, de déambuler dans ses faubourgs encore assoupis, et de la voir se remettre, doucement mais sûrement, d’une énième soirée d’ivresse. J’aime la nuit, et la nuit m’aime. Tout du moins, la populace hallucinée et camée jusqu’à la moelle de la nuit, elle, m’aime. Anges décadents et flamboyants de la vie nocturne, Paris by night appartient à ces êtres lumineux, sublimes et éternels gardiens du feu sacré.

"On ne peut être sage qu’à la condition d’avoir été fou" me dit un soir le clochard céleste de la passerelle Léopold Sédar Senghor, tandis que nous entamions une ultime bouteille, et que les eaux du fleuve berçaient notre conversation d’une étrange et fascinante symphonie aquatique, et que les horloges du quai d’Orsay, astres lunaires de substitution, nous aveuglaient de leur terrible et insoutenable vérité. Hôtesse bienveillante de mes chimères dévorantes, la Seine, et la fantastique attraction qu’elle exerce depuis toujours sur moi, me fit croiser, lors d’une de mes déambulations nocturnes, la route du clochard céleste. Barbe hirsute et pestilentiel, regard dur mais souvent vitreux, ce vagabond à la voix chaude et sonore accompagna nombre de mes nuits passées à l’écart du monde, de la réalité et, il faut l'avouer, de la sobriété. Poète dans l’âme, mon homme était également plein de formules à l'étourdissante sagacité, éclairant encore aujourd’hui mon chemin d’une lumière surnaturelle. "On ne peut être sage qu’à la condition d’avoir été fou" me répétait le clochard céleste.

Il est cinq heures. Je n'ai pas sommeil.

Ce matin est différent des autres. Je marche, je n’erre plus ; je m’enivre, mais ne me saoule plus ; je laisse à présent la musique m’emporter là où la musique voudra bien me mener, sans possibilité de retour.