mercredi 31 octobre 2007

Piste 14 : "Jesus" par Page France


… Nan, mais, tu vois, le truc qui m’a vraiment surpris dans tout ça, mais alors vraiment, c’est même pas que ces grosses connes aient été là, ou que tout le monde était pété sauf moi, limite même le truc du massage aux huiles essentielles je m’en bats totalement les reins, les pauvres s’ils veulent faire un truc aussi pitoyable, bah qu’ils le fassent franchement, non, non, ce qui m’a halluciné, c’est que ça, tout ça, ça m’a même pas emmerdé, même pas un tout petit peu, alors que, tu vois, y a quelques mois, je me serais cassé, mais fissa quoi, et là, non, j’ai regardé le spectacle, assis sur le canapé en fumant mes clopes, en me levant de temps à autre pour aller voir les quelques personnes que je pouvais blairer, ou alors pour aller à la fenêtre, tu sais pour regarder les gens passer, j’ai toujours adoré ça, je sais pas pourquoi, inventer des histoires à ces personnes, leur donner des noms, des familles, un ou deux enfants, une épouse aimante ou alors totalement névrosée, enfin toutes sortes de choses qui les amènent dans ce quartier à ce moment précis de leur vie, une raison pour laquelle à cet instant X ils sont rentrés de cette manière dans ma subjectivité, lui est pas un autre, elle est pas un autre, enfin je sais pas si tu comprends ce que je veux dire par là, même moi j’ai du mal à mettre le doigt sur ce qui me pousse à toutes les soirées où je vais à faire ça, systématiquement, comme, tout aussi systématiquement, je vais m’isoler du reste du monde dans une pièce calme ou quoi, genre une des chambres ou la salle de bain, et qu’à chaque fois que je repense à telle ou telle soirée, c’est toujours à ces moments passés à l’écart des autres, ou que les autres ont passé à l’écart de moi comme me l’a justement fait remarqué cette fille tout à l’heure, hé ben c’est toujours ces instants-là qui me viennent tout de suite à l’esprit, je sais pas très bien pourquoi d’ailleurs mais c’est comme ça, et puis tu sais, même quand je suis là où les gens sont, je m’obstine juste à capter le silence qui se dégage du bruit, genre le silence qui t’entends lorsque tu écoutes suffisamment longtemps un bruit répétitif et dénué de sens, comme celui de la circulation ou celui d’une cour d’école à la récré de 10h, enfin tu vois quoi, et donc au lieu de participer ou même prêter une oreille plus ou moins attentive aux conversations/ramassis de merde sur les utopies politiques en tout genre, j’écoute ce silence sonore, et ça me détend vachement, tu peux pas savoir, comme pourrait le faire un bon spliff, ou Hello, Dear Wind de Page France, je sais pas si tu l’as déjà écouté, mais en tout cas, quand je le mets, je me prépare avant même les premières notes de "Chariot" à rentrer dans un état de confort d’âme si tu veux, ou, disons, ce sentiment typiquement automnal, ce mélange de calme, de nostalgie, cette sorte de tristesse libératrice et souriante, ou plutôt, voilà, c’est comme un tableau de Monet, où le ciel n’est jamais tout à fait dégagé, mais où y a toujours des teintes d’orange, de jaune, de rose et de violet, ces vanilla skies, comme dans le film, enfin bon, j’ai du mal à décrire ce truc, mais je suis sûr que tu vois de quoi je parle, et puis de toute manière, promène-toi un peu à Paris et, là, tu comprendras forcément ce à quoi je fais référence, je veux dire, regarde les feuilles jaunes voler, va sur les quais contempler les reflets sur la Seine, et puis bois, bois la lumière vanillée des rayons du soleil d’automne, et quand t'auras fait ces choses-là, rentre chez toi écouter "Jesus", et tu verras que cet album respire l’automne, et je sais bien que je te fais chier avec ce groupe, mais il faut que tu comprennes, il le faut vraiment, parce que, justement, à cette soirée, j’avais cette chanson dans la tête, "Jesus", et je pensais à cette ligne des paroles de la chanson "And we will be joy and we will be right", et je crois que c’est ça qui m’a fait rester, et même si je comprends pas trop en quoi, d’une manière ou d’une autre, cette soirée a été porteuse d’un sens, lequel, j’en sais foutre rien, mais un qui m’a profondément parlé et qui m’a permis de mettre certaines choses qui me tracassaient depuis un bon moment au clair, et peut-être, ça c’est vraiment moins sûr, mais peut-être que ce soir-là, j’ai enfin réussi à faire la paix avec moi-même… En tout cas, ça me plaît de le croire.