lundi 1 décembre 2008

Piste 26 : "Girlfriend In a Coma" par Noah & the Whale

Le ciel est immense et la lumière somptueuse du côté des Tuileries en ce samedi après-midi, simply beautiful à croire les Américains s’en extasiant juste à côté de lui et, sans même y jeter un coup d’œil, il les croit. Son truc à lui, c’est l’eau, et quand la Seine est comme ça, scintillante jusqu’à l’épilepsie, hors de question de la quitter des yeux. Pas quand elle vit comme ça, et s’illumine en des multiples éclats de couleur. C’est l’un des rares bonheurs de sa vie qui ont survécu à l’érosion du temps et à l’évanescence de ses illusions de jeunesse, alors c’est pas un beau et joli ciel bleu qui pourrait l’en détourner. Son regard est dur et sec, dévorant son menu plaisir plus qu’il ne le savoure.
Il aurait pu rester des heures entières à scruter chaque recoin de cette impalpable amante si l'accoutrement d'un jeune homme sur les quais n’avait attiré son attention et interrompu la masturbation de ses sens.


Il portait la même autrefois. Même teinte, même taille, même manque frappant de fraîcheur. Cette veste, il l’adorait, ne l’aurait échangée contre rien au monde. Elle faisait partie de lui. Et puis elle aussi lui avait dit un jour qu’elle le trouvait pas trop mal non plus, ce machin-là, d’ailleurs qu’elle se souvenait parfaitement qu’il la portait déjà lors de leur premier baiser, c’était ici même sur le passerelle Senghor, et plus précisément ce banc-ci, celui qui n’appartenait qu’à eux et eux seuls, là où aussi, elle ne l’oublierait jamais, il lui dit pour la première fois qu’il l’aimait alors qu’elle mangeait un yaourt, chose qui lui sortit totalement de la tête quand elle ouvrit la bouche pour répondre à sa déclaration si touchante et maladroite et pure, cela la faisait rire aux éclats à chaque fois qu’elle y songeait, car cet épisode était l’instantané parfait de ce qu’ils étaient alors, deux gosses fous et amoureux, dont les cœurs s’emballaient si vite qu’ils ne s’offraient jamais du temps pour s’ennuyer un peu, un peu comme ces vieux couples dans les parcs, s’offrant aux yeux de tous, passant leur journée à se tenir la main. C’est impensable comme ils s’aiment.

L’après-midi touche à sa fin. Avant d’entrer, il se retourne pour contempler ce fameux tableau aérien dont les gloseurs lui ont pollué l’oreille la journée durant. Bof. Oui, c’est plutôt pas mal pour un samedi de novembre, et après ? De toute manière, le rose et la vanille du ciel s’évanouissent déjà dans l’horizon.
Ses yeux sont verts avec des nuances de gris : ça, c’est sa phrase rituelle, celle qu’il se répète à lui-même quand il pose son regard sur son visage. Quand il a peur d’oublier.
"Chambre 6, monsieur. Comme d’habitude." Décidément, cette infirmière et son sourire de merlan frit réveillent en lui des pulsions meurtrières jusqu’ici insoupçonnées. Le vert pâle et le beige des murs de cet hôpital sont pas mal non plus. Comment veulent-ils que les patients aillent mieux dans un environnement pareil ? Enfin, peu importe, s’il est ici, un bouquet de fleurs en main, c’est pour elle et uniquement pour elle. Cela fait déjà 15 ans, il a eu le temps depuis de prendre et reprendre des nouveaux départs dans la vie, mais s’il décidait de ne plus revenir, jamais il ne pourrait se le pardonner. Il lui devait de revenir, une fois de temps en temps. Il lui devait au moins ça.
Quand il entre dans sa chambre, elle dort, et ça le surprend toujours un petit peu. Il l’observe attentivement, en prenant son temps, scrutant les moindres détails de cette silhouette qui ressemble vaguement à une autre qu’il avait aimée autrefois. Ses yeux sont verts avec des nuances de gris, ses yeux sont verts avec des nuances de gris, ses yeux sont verts…

PS : oui, les Smiths sont intouchables, pardon, pardon, pardon, mais le violon dans la version e Noah and the Whale est à fondre en larmes.